Bulles de savon

Deuxième partie

II. La bulle et ses couleurs

         
Nous avons tous vu des couleurs à la surface des bulles de savon, qui vont et viennent, puis se changent en autre couleur ou disparaissent.  Tout d’abord, pourquoi des couleurs apparaissent-elles ? C’est grâce aux phénomènes d'interférence et d'iridescence !  


     1) Iridescence

     L'iridescence est en fait la propriété de certaines surfaces (comme les plumes de paon, la nacre ou encore l'essence) à changer de couleur selon l'éclairage ou l'angle de vue. Pour expliquer ce phénomène, on peut imaginer des miroirs assez proches à échelle humaine. En se regardant dedans, on peut constater que la couleur du reflet peut varier selon le miroir (et donc l'angle de vue). C'est parce que les miroirs sont trop loin ! Maintenant prenons des miroirs à seulement quelques micromètres. Dans ce cas, on ne peut plus négliger la longueur des ondes qui est de l' ordre des nanomètres. Il faut aussi rappeler qu'il ne peut y avoir qu'un nombre entier d'onde, c’est-à-dire de "vagues" (bosses et creux). Donc, si on prend un espace d' un micron et demi entre les miroirs, soit 1500 nm, on observera quelques couleurs : si on prend une seule onde (une "vague"), elle mesure l'espace entre les deux miroirs, soit 1500 nm, et n'est donc pas perceptible par l'homme (le domaine visible est compris entre 400 et 800 nm). Si l' on prend deux ondes, alors elles doivent mesurer 750 nm chacune, on observe du rouge. Avec trois ondes, on voit du cyan (chaque onde mesure 500 nm). En revanche, avec quatre ondes, on sort du visible (375 nm, domaine ultraviolet). Suite à cette irisation, entre les miroirs on peut voir du cyan/vert, du rouge et du jaune : la couleur issue de la synthèse additive.
Iridescence d'une flaque d'essence
     Dans la bulle de savon, ce sont les parois savonneuses avec l'eau qui jouent le rôle des miroirs espacés de quelques microns. Les parois réfléchissent les rayons lumineux, mais en laissent passer une partie, ce qui permet de contempler l' iridescence. Mais le phénomène est plus complexe, notamment car les interférences interviennent aussi.   
  
       
      2) Interférences

      Prenons une onde lumineuse dans le vide, considérée comme un rayon droit. En rencontrant une bulle de savon, plusieurs phénomènes optiques rentrent en jeu. En changeant de milieu, de l'air à la pellicule d'eau savonneuse, autrement appelée lame de savon, le rayon est divisé en deux : un rayon réfléchi (1) et un rayon réfracté, qui continue son chemin jusqu' à la seconde paroi de savon. Là encore, à la frontière pellicule savonneuse/air, le rayon est réfléchi (2) et réfracté. En revenant à la première paroi de savon, mais cette fois-ci dans l'autre sens, vers le milieu initial, le rayon 2 est encore réfracté. On obtient ainsi deux rayons parallèles (les angles de réfractions sont égaux, parce que les milieux traversés ou rencontrés sont toujours les mêmes, c'est à dire l'eau savonneuse et l'air) avec certaines caractéristiques communes que nous verrons plus tard, dont la cohérence spatiale et temporelle, qui sont indispensables pour observer des interférences. 



Conditions d'interférence et cohérence : 


     Pour créer des interférences, il faut absolument que les sources lumineuses remplissent quelques conditions. Les sources doivent avoir strictement la même fréquence et a peu près le même sens de propagation. Dans le cas des bulles de savon, cette condition est simple à respecter : le rayon est dédoublé suite aux réflexions et aux diffractions, ils gardent donc la fréquence de la source initiale et les rayons sont parallèles. Néanmoins, les cohérences spatiales et temporelles doivent être réalisées. Une source lumineuse classique émet des "trains d'onde" un par un, ce qui dure à peu près une nanoseconde. Pour pouvoir observer des interférences, il faut qu'il y ait une différence de phase φφ2 constante entre chaque train d'onde, c'est la cohérence temporelle, qui est possible à partir d'une même source initiale. Pour la cohérence spatiale, on est amené à parler de la longueur de cohérence, qui est en fait la longueur que parcourt l'onde pendant l'émission d'un train d'onde, c’est-à-dire pendant une nanoseconde. C'est l'équivalent d'une trentaine de centimètres pour un rayon de type laser. Il faut que la différence de marche des deux rayons soit inférieur à la longueur de cohérence.  

Différence de marche
    La différence de marche est la différence de la distance parcourue par les deux rayons réfléchis, que l'on notera δ = 2d, le rayon 2 fait le chemin de la paroi de savon extérieure à l'intérieure, puis de l'interne à l'externe. Sur une lame mince, telle qu'un film de savon, la différence de marche est δ =2ne cosθr, où n correspond à l'indice de réfraction du film, généralement aux alentours de 1,40 (légèrement supérieur à celui de l'eau: 1,33), et est l'épaisseur locale de la lame et cosθr est le cosinus de l'angle de réfraction ; tout ceci multiplié par 2, car on compte l'aller-retour dans la lame. On considère que sous incidence normale, l'angle de réfraction équivaut à peu près à 1, ce qui facilite grandement les calculs interférentiels. 
Déphasage
      En effet, cet aller-retour du 2ème rayon induit un déphasage. Dans le vide, le ce dernier est donné par ∆φ = φ- φ= 2πδ / λ, où λ est la longueur d'onde dans le vide. Dans un milieu d'indice n, le déphasage sera donc ∆φ = φ- φ= 2 π δ / λ, ou en remplaçant δ,  on obtient ∆φ 4 n e π  / λ. De plus, on additionne un π supplémentaire dû au fait que le coefficient de réflexion est négatif pour le premier rayon, sréfléchissant à l'interface air/savon, alors qu'il ne change pas pour le second (il reste positif), se réfléchissant à l'interface savon/air. On obtient alors la formule ∆φ = (4 n e π λ) +π 
   Lorsque δ = k λ (k est un entier relatif appelé ordre d'interférence), alors on a ∆φ = 2 k π et on constate des interférences constructives, parce que les deux rayons réfléchis se superposent et on dit qu'ils sont en phase ou qu'ils coïncident. En effet, lorsque 2 n e = λ/2, 3λ/2, 5λ/2, etc., on observe des maximas d'intensités : les franges sont brillantes et colorées (si la lumière est monochromatique ; sinon certaines longueurs d'ondes sont amplifiées au profit d'autres). 
         
     Cependant, lorsque δ = (2k+1) λ/2 = λ + λ/2, les rayons sont en opposition de phase, les interférences sont destructives : 2 n e = 0, λ, 2λ, etc. On a alors les minimas d'intensité et les franges sont sombres ou noires lorsque l'épaisseur est quasi-nulle. 

     On voit que l'épaisseur de la couche savonneuse ne joue pas un rôle négligeable. Mais, comme elle change constamment à cause de la tension superficielle et de la gravité, ainsi que du vent et des poussières, la différence de marche change souvent et c'est-ce qui explique le fait que les couleurs sur une bulle sont remplacées par d'autres même si l'on reste au même angle de vue.  
     Aussi, les interférences ne dépendent pas que de l'épaisseur de la couche d'eau savonneuse, mais aussi de la longueur d'onde du rayon qui s'y réfléchi : la position des franges est influencée par la couleur :  
A la même intensité, un rayon bleu a plus de franges qu'un rayon rouge, cependant son interfrange est plus petite, c'est à dire que les franges colorées sont beaucoup plus rapprochées.
     On peut noter également que l'ordre d'interférence k = 0 correspond aux franges sombres ou noires, mais sous lumière blanche sur une lame de savon il n'y en a qu'une, ce qui facilite les observations lors d'expériences. L'addition des couleurs résultantes des interférences avec différentes intensités créé des teintes très complexes, qui ont été étudiées par de nombreux physiciens. On utilise aujourd'hui l'échelle de Newton-Lévy.
         
     Plus la différence de marche est grande, c'est à dire l'épaisseur de la couche d'eau savonneuse, plus les couleurs sont vives et nombreuses.  La naissance de la bulle correspond à la droite de la fresque, sa mort : à la gauche.


Intensité et interfrange 

     On peut calculer l'intensité des interférences à un point quelconque M sur une lame de savon : I = 2 I ( 1 +  cos ∆φ ) = 2 I( 1 + cos 2πδ/λ) ; où I0 est l' intensité initiale de la source lumineuse. 

     Après des calculs complexes, on peut obtenir l'interfrange une formule : i = λ D / n h, car δ au point M = h x / D; où h est la distance entre les deux rayons interférants, D est la distance entre l'écran sur lequel on observe ce phénomène et le point M, et x est l'abscisse du point M sur le repère de l' écran.     

     L' interfrange, noté i, est en fait la distance qui sépare deux franges consécutives, qui ont la même intensité et c'est la même que ce soit pour les franges brillantes, ou sombres. 
Mais quelles informations les franges nous donnent-elles ?
     On voit que les franges sont toutes horizontales, la lame a ne épaisseur constante sur la longueur. Mais, comme elle est posée verticalement, le savon et l'eau coulent par gravité, donc le bas est plus épais que le haut. De plus, l'interfrange n'est pas constante de bas en haut. Elle est plus grande en haut, c'est encore dû à la gravité et prouve que l épaisseur de la lame ne varie pas linéairement sur l'axe verticale.
     Chaque interfrange correspond à une différence de marche de λ, soit une variation d'épaisseur n e de λ/2. Si l'on est en lumière monochromatique, on ne peut en tirer plus d'informations, mais si l'on passe en lumière blanche, alors, comme dit plus haut, on peut trouver l' ordre d' interférence k = 0.
Franges observées sur une lame éclairée par un laser
    3) Démonstration pratique

    Pour observer les interférences et l'iridescence, et pour vérifier expérimentalement l'échelle de couleurs de Newton, nous avons ré-aménagé un ancien aquarium. 
    Aspergé d'eau et fermé, l'aquarium permet d'avoir un milieu sans courant d'air, sans poussière et humide (grâce à l'eau froide vaporisé sur les parois). On favorise ainsi la longévité de la bulle, par conséquent le temps d'observation des phénomènes traités ci-dessus.